vendredi 8 mai 2015

Interview d'Amélie Tsaag Valren et de Richard Ely

L'Etrange Librarium : Bonjour, pouvez-vous vous présenter et parler de votre parcours, présenter votre "Bestiaire Fantastique" à nos lecteurs ? Comment définiriez-vous cet ouvrage ?

Richard Ely : Bonjour. D’abord merci de nous donner la parole, cela fait toujours bien plaisir ! Me concernant, je suis tombé dans l’étrange tout petit. Habitant un village de sorciers, Ellezelles en Belgique, j’ai été très tôt confronté à l’univers des légendes et du fantastique. Un domaine que j’ai exploré à travers mes lectures après avoir découvert Thomas Owen à quinze ans et à travers mes études universitaires. J’ai ensuite créé et dirigé Khimaira, le magazine de toutes les fantasy avant de revenir à l’écriture depuis 2007.




Photo : Pierrick Panier
Amélie Tsaag Valren : Bonjour ! C’est un peu long : parcours chaotique à faire de tout, un coup soi-disant en échec scolaire, après en lycée très contrariée parce que j’aimais la biologie et le français sans qu’ils ne soient compatibles au programme… je découvre la linguistique à 18 ans, quitte la fac à 22, étudie les textes médiévaux à 25, et me retrouve à l’université de Rennes II aujourd’hui, passé 30 ans, pour valider une VAE grâce à des contributions bénévoles sur Wikipédia ! Pas pour cette année, mais la prochaine sans doute : on ne peut être partout.

Cet ouvrage est le bébé de deux passionnés de féerie… j’ai demandé à Richard Ely, il y a bien cinq ans de ça maintenant, s’il n’aurait pas par hasard un projet d’ouvrage à quatre main dans ses tiroirs. J’ai une faille redoutable : je manque perpétuellement de confiance en moi. L’écriture à deux est un bon moyen de la dépasser !

Sur le coup, Richard m’avait dit que non… puis il est revenu quelques mois après avec l’idée du bestiaire. J’ai commencé par proposer de longs articles (assez similaires à ce que j’ai écrit dans Wikipédia sur des pages comme Groac’h mais avec une écriture moins formatée). Il a fallu réduire la taille de chaque entrée pour répertorier le maximum de créatures différentes, un choix à l’opposé des autres ouvrages existants sur ce thème. C’est ce qui fait l’originalité de celui-là.

Richard : Le présent ouvrage est né d’un constat : si beaucoup d’encyclopédies, de dictionnaires évoquaient les Petits Etres des autres pays, en France, la Bretagne était surreprésentée par rapport aux autres régions. Cela s’explique par une collecte plus attentionnée et un folklore toujours bien vivant mais nous trouvions dommage que les passionnés d’aujourd’hui ne se rendent pas compte de la richesse de chaque région de leur pays en matière de féerie.

Amélie : On a tendance à penser que la Bretagne connaît plus de légendes qu’ailleurs… c’est à la fois vrai et faux ! Faux car rien ne prouve qu’il y ait eu plus de récits de ce type en circulation, plus d’histoires contées le soir à la veillée en Bretagne qu’en d’autres lieux… vrai parce que les collecteurs (Sébillot, Le Braz, Luzel, etc…) ont su remarquablement les préserver à l’époque où il le fallait… tandis que dans nombre d’autres régions (je pense en particulier au bordelais, où nous avons un véritable « désert légendaire »).

E.L : Quelles ont été vos sources d'inspiration pour écrire votre saga (en littérature, au cinéma, votre expérience personnelle alimente-t-elle vos récits...) ? Nos lecteurs sont passionnées de SF et de Fantastique avez-vous un coup de coeur particulier que vous souhaiteriez leur faire partager en littérature et dans le septième art ?

Richard : La principale source d’inspiration de tous mes ouvrages est la Nature. Sans arbres, buissons et plantes, je ne peux écrire. Ensuite, j’ai souvent le nez plongé dans les collectes de folkloristes. Côté lectures, je cite toujours les auteurs qui m’accompagnent depuis longtemps, les livres de Thomas Owen, de Claude Seignolle et de Pierre Dubois. Chez ces trois auteurs, tout est absolument à découvrir. Sinon côté classiques, le Horla de Maupassant m’a toujours hanté comme 
Le Tour d’écrou de James. Et côté nouveauté, j’ai beaucoup apprécié le dernier recueil de Mélanie Fazi, Le Jardin des Silences.

Amélie : Une grande partie de nos sources viennent de Sébillot, qui a réalisé un travail remarquable sur toute la France… mais à l’origine, il est haut-breton ! Il a donc naturellement une meilleure connaissance des légendes bretonnes, ce qui explique l’habitude d’en trouver davantage dans ce type d’ouvrage. Pour rééquilibrer un peu la répartition, nous avons dû fouiller dans des documents qui, à ma connaissance, n’avaient jamais été exploités pour un ouvrage grand public. Evidemment nous n’utilisons pas de récits de fiction pour documenter un ouvrage qui se veut aussi utile à la recherche universitaire qu’à tout passionné de féerie… même si, ce serait intéressant d’avoir un jour un ouvrage qui compare toutes les créatures imaginées par les écrivains… les dragons selon R.R. Martin sont bien différents des dragons selon Anne Mc Caffrey, qui n’ont rien à voir avec les dragons du film Dreamwork du même nom !

En fait, je ne trouve plus vraiment de plaisir dans la littérature de fiction ni même le cinéma depuis quelques années – j’ai vraiment envie d’apprendre "comment le monde fonctionne" et comment les habitants des territoires l’imaginent, plus que de me plonger dans l’imaginaire d’un auteur ou d’un scénariste en particulier. Je lis un nombre réduit d’auteurs de fiction, parmi lesquels Pierre Bordage (donc le dernier n’est pas vraiment un roman de SF : Le Jour où la guerre s’arrêta), et je me suis rapprochée du jeu de rôle – un projet avec Didier Guiserix.

E.L : Comment s'est organisé le travail d'écriture ? Comment vous-êtes vous réparti l'immense travail de recensement à effectuer ? Avant et après la publication ? Pendant l'écriture, le moment de la journée où vous écrivez le mieux ? Un rituel autour de l'écriture ?

Richard : Pour cet ouvrage, il y a eu un long moment de préparation, de recensement des diverses créatures. Puis, la répartition a été assez simple, la forme de l’ouvrage se prête facilement à une écriture à plusieurs mains. Nous avons choisi chacun un type de créatures et rédigé dans notre coin les différentes entrées. Puis, nous avons procédé à des relectures successives qui ont permis de fondre nos styles et d’arriver à une forte uniformité.
Côté rituel, il va de soi qu’avant chaque temps d’écriture, une poule noire est sacrifiée et que je ne peux rédiger qu’au milieu de parfums de plantes sacrées et d’encens… Hum, je plaisante. Je suis plutôt du genre à écrire partout. Cela va de mon bureau entouré de livres, de figurines de lutins, de fées au tronc d’un arbre abattu sur lequel j’aime m’asseoir en passant par le train ou un petit café de village… Je n’écris pas en continu, je suis souvent distrait par un oiseau qui passe, un insecte ou la conversation de la table d’à côté. Tout cela me nourrit, alimente l’écriture en cours ou une idée à venir…

Amélie : Richard a plutôt traité des créatures "humanoïdes" (fées et lutin), et moi des créatures plus animales, ainsi que des géants. C’est assez logique, j’ai toujours été proche du monde animal (je travaille en presse équestre depuis plusieurs années), et Richard a d’autres publications sous le coude en matière de fées et lutins !

C’est assez drôle, la question du travail d’écriture… il faut absolument que je structure : écrire sans plan serait un saut dans l’abîme, bonjour les crises de confiance ! J’ai une foule de documents ouverts en même temps que celui sur lequel je travaille : des travaux de linguistique, des travaux d’anthropologie, cinq à dix livres (de Pierre Dubois, de Claude Lecouteux, etc) sur le bureau, des plans, des plans et des échafaudages, un peu comme autant de filets auxquels se raccrocher, au moment où l’on se dit « ce chapitre est mauvais ».

E.L : Quelle créature dans l'ouvrage vous intrigue le plus et pourquoi ?

Richard : Je suis un gars du Nord alors les créatures qui m’accrochent le plus dans le livre sont les Latuzés, ces lutins pas très gentils qui se glissent entre les lattes des planchers, du grenier et qui plantent leurs griffes tels des clous rouillés dans la chair tendre des enfants peu sages.

Amélie : Lou drapé, le cheval-fantôme d’Aigues Mortes. C’est une légende que j’ai cherchée sur le terrain, en Camargue. Comme beaucoup de gens qui ont vu le film Crin-Blanc, j’ai rêvé la Camargue. Alors vers 23-24 ans – je crois – j’ai cassé ma tirelire et suis partie à Marsillargues. J’ai été déçue, ce n’était pas le pays "sauvage et libre" qu’on m’avait présentée dans les films et dans les brochures. Le plombier philosophe qui m’hébergeait m’a dit que la Camargue a "les pieds dans l’eau", la montée du niveau de la mer inquiète. Comme si Folco et son cheval Crin-Blanc venaient se venger des promoteurs qui ont détruit la nature ! C’est exactement ce que dit Pierre Dubois : maltraite la nature et elle se venge…

Lou Drapé est un cheval-fantôme – un Camarguais, sans doute - qui tourne, tourne toutes les nuits autour des remparts d’Aigues-Mortes. Il prend des enfants égarés sur son dos, et part dans les marais du Grau-du-Roi. Comme dans une Ghost Stories, la fin est ouverte. Ou bien les enfants sont noyés… ou bien, ils partent dans l’Autre Monde ! … et en reviennent, dix, vingt ou trente ans plus tard, un peu enfadés, un peu fadas !

E.L : Une autre collaboration pour un futur ouvrage est-elle prévue ?

Richard : Rien n’est prévu à ce jour. Je pense que nous avons tous deux pas mal de projets en cours ou à venir mais pourquoi pas. Il faudrait d’ailleurs un jour enrichir encore celui-ci. Quelques lutins nous ont glissé entre les mains !

Amélie : J’aimerai bien mettre à jour cet ouvrage pour une prochaine édition, mais en dehors de ce projet-là, qui reste lointain, rien de prévu. C’est le principe des encyclopédies, on ne peut pas être exhaustifs. A peine avons-nous rendu le manuscrit que l’on trouve une fée oubliée, un géant omis.... La recherche progresse sans cesse, et tant mieux !

E.L : Autre chose à nous faire partager ? Vous avez carte blanche ! (lien vers votre site, page facebook, remerciements, accueil de votre ouvrage par les lecteurs...)

Richard : Juste un petit mot sur mon actu 2015. J’ai écrit une encyclopédie autour des fées et lutins liés à la nature, parue aux éditions Véga en 2013 et qui s’intitulait Le Grand Livre des Esprits de la Nature. J’ai la chance de voir sortir sa suite en novembre. Même principe : un beau et grand livre rassemblant des esprits de tous les folklores mais cette fois liés à nos habitations. L’ouvrage s’intitulera Le Grand Livre des Esprits de la Maison, toujours aux éditions Véga.

Amélie : Mon actu 2015 se fera côté jeu de rôle. J’ai mentionné Didier Guiserix plus haut, je peux préciser que ça va concerner la réédition de Méga, un JDR français de science-fiction. Je n’en suis pas la créatrice bien sûr, mais j’accompagne – et c’est une chance – une équipe formidable par ses compétences et ses ambitions. On en reparle à l’automne prochain !

J’ai un ouvrage en solo autour du cheval en projet, mais il a pris un peu de retard.

D’ici-là, mes occupations se tournent aussi vers mon jardin, avec des petits pois, les courgettes en bio, des pieds de tomate, de la roquette… comme l’a si bien dit Richard, la féerie et le jardinage sont indissociables sur de nombreux points. Et il n’y a pas besoin d’une "grande" surface ! Faire pousser ses propres légumes est très gratifiant, bien loin du bagage "paysan gratte-terre" qu’on y a accolé. En plus de cela, vous créez des liens avec vos voisins en échangeant vos denrées avec les leurs.

Propos receuillis par Athina


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