Rencontre avec Danielle Martinigol
Festival Les Utopiales Nantes
Lady Fae : J’ai été marquée par la lecture des "Oubliés de Vulcain" en CM2. Je n’étais pourtant pas vraiment branchée SF à l’époque, mais il y a un message écologique qui m’a touchée et qui m’est resté en mémoire. Pour vous, la SF est-elle au service d’une idée ou bien est-elle juste un moyen de voyager dans le temps et l’espace ? Attachez-vous une importance à la dimension "prise de conscience" ?
Danielle Martinigol : Les deux ! J’ai beaucoup de plaisir à imaginer des mondes, mais ce n’est jamais "gratuit". Le message n’est pas intentionnel, il arrive de façon induite par le décor ou les personnages. Mais il y a toujours une dimension écologique, car cela m’a toujours semblé important, depuis mon plus jeune âge. Le plus important sur la Terre, c’est la Terre elle-même !
J’ai commencé à lire de la SF avec la SF dite "de gare", de la collection "Anticipation" de Fleuve Noir. Souvent, il s’agissait d’histoires de menaces d’extraterrestres méchants. Depuis, tout cela a beaucoup changé en littérature, mais pas tellement dans le cinéma. Depuis que je suis jeune fille (11-12 ans), j’ai toujours eu la sensation qu’il pouvait y avoir des choses merveilleuses dans l’espace. J’avais déjà conscience d’appartenir à la planète Terre. Je dis toujours que je suis Terrienne, Européenne, Française et Bourguignonne !
Je travaille avec l’illustrateur Manchu, mais pas un seul tableau ne me semble aussi beau que celui de la Terre vue de l’espace. D’ailleurs, c’est le fond d’écran que mon mari m’a installé sur mon nouvel ordinateur portable !
J’adore aussi Artus-Bertrand. Tout ceci est très beau parce que très fragile. J’ai toujours dit à mes élèves : si on veut aller chercher du secours chez les voisins, c’est mal parti, ils sont bien trop loin dans l’espace !
J’aime évoquer toutes ces contingences matérielles avec les jeunes lecteurs. C’est à tout le monde de faire des efforts, c’est la responsabilité de chacun. C’est là le message de tous mes romans. J’ai évoqué, dans "Les soleils de Bali", la question des plantes OGM. Mais aussi la colonisation dans "Les abîmes d’Autremer". Tout cela touche la question des adaptations humaines aux contraintes écologiques. Si on me demandait de me définir, je dirais que je suis un auteur de space opera.
L.F : Vos héros sont des personnages modifiés ou améliorés. C’était très futuriste pour l’époque (années 1990). Votre ouvrage était donc en avance sur son époque, du moins pour le grand public.
D.M : Mes livres utilisent le futur pour parler du présent. Ce roman est né de diverses expériences.
J’ai eu l’occasion de travailler sur un projet autour des déchets avec une classe de l’Essonne en 1992. Il s’agissait d’un programme de sensibilisation. Les profs de science, sollicités par le chef d’établissement, n’étaient pas intéressés, mais moi oui, ce qui a surpris en tant que prof de français ! Mes éléves de 5ème étaient partants car ils étaient ravis d’échapper ainsi au cours de grammaire prévu ! Je les ai interrogés sur la question de la destination de leurs ordures. Ils n’ont pas su répondre. Ce qui semble évident aujourd’hui ne l’était pas à l’époque. Ces élèves ne savaient pas où se trouvait la décharge, à part une petite blonde, parce que son papa en était le directeur. J’ai pris contact avec lui afin d’organiser une visite. Je ne vous raconte pas la tête du chef d’établissement quand je lui ai annoncé cela ! En rentrant de la visite, un élève m’a dit : "Madame, si ça continue, on va transformer la Terre en planète-poubelle…".
C’est ainsi que mes livres mûrissent. Chez moi, un livre mûrit un an avant de naître, puis il faut encore un an de travail.
Parfois les idées viennent de rencontres, de petites expériences. Par exemple, un jour, je longeais le Généthon à Evry. Je me suis demandé ce qu’ils y fabriquaient. Des chimères ? Des personnes améliorées ? C’est ainsi que les choses se mettent en place dans mon esprit.
J’ai aussi été marquée par l’histoire de mes amis cambodgiens boat people, par la vie de ces gens contraints de fuir en payant des passeurs.
Lorsque j’ai vu tout cela revenir dans la société moderne, j’ai été effarée. "Les oubliés de Vulcain" sont toujours d’actualité. Les thèmes abordés n’ont pas vieilli. Les élèves les comprennent donc parfaitement.
De plus, il n’y a pas vraiment d’allusions technologiques.
L.F : Si le livre fonctionne, c’est parce que l’humanité tourne en boucle. Les sujets restent d’actualité vu que l’on ne change pas…
DM : On parle des classiques en littérature mais les classiques de SF ont souvent une saveur désuète. Roger Bozzetto m’a dit : "ta SF ne vieillit pas". Parce que, dans mes livres, il n’y a pas de technologies ancrées dans le moment, mais des thèmes qui interpellent le plus grand nombre. Ils ont un écho auprès des enseignants car ils offrent la possibilité de développements pédagogiques.
L.F : L’envie d’écrire vous est venue de votre grand-père. En commençant à écrire, vous êtes-vous demandé ce que vous alliez apporter de plus à la SF ou souhaitiez-vous juste partager des idées ?
D.M : L’écriture est un processus d’imitation. On trouve normal qu’un jeune musicien/chanteur/danseur imite. Personne ne parle de plagiat, sauf en littérature.
Quand on me demande quel conseil je donnerais aux jeunes écrivains, je réponds : choisissez un genre qui vous plaît et, d’une certaine façon, imitez.
Je suis une 68tarde. J’ai eu mon bac en 1968. C’était l’éveil de la conscience écologique.
Je n’ai pas l’air d’être un dinosaure mais je viens d’une époque où les "jeunes" n’existaient pas. On sortait de l’enfance et on atterrissait à l’âge adulte. Par exemple, je suis passée directement des vêtements d’enfants à ceux d’adultes. Il n’y avait pas de "mode ado".
Le problème est, qu’aujourd’hui, on a créé une zone de confort et de non-implication dans la vie. Une espèce de "non-âge land". Avant, on devait s’impliquer assez vite. Pourtant, depuis, il n’y a eu qu’une génération. Une seule génération d’écart.
Dans mes livres, les adolescents s’impliquent. Ils sont confrontés à quelque chose, un choc, qui fait qu’ils sont obligés de réagir.
Par exemple, dans les "Abîmes d’Autremer", l’héroïne est confrontée à la trahison de son père. C’est une blessure profonde qui la fait basculer à l’âge adulte.
L.F : Vous ne faites pas de cadeaux à vos personnages !
D.M : Mon "méchant", c’est la vie elle-même, le quotidien. Dans ma trilogie des "Abîmes", je parle des médias. Dans le Tome 1, j’évoque les paparazzis. Dans le Tome 2, la Téléréalité. Je parle du voyeurisme. Cela m’est venu en regardant "The Voice". Quand on est enseignant, c’est terrible ce genre d’émissions. On passe sa carrière à essayer de ramener des gamins dans le groupe après des situations difficiles et là, dans une émission, on dégage des jeunes capables de faire un truc formidable, qui ont le courage de se tenir debout devant un public. Je ne supporte pas la cruauté du déballage médiatique.
Etant jeune, je voulais être journaliste. Parce que, sans l’information, on est dans la dictature. L’information ne doit pas être jugulée. J’essaie de réhabiliter les journalistes. Il faut réhabiliter, valoriser ceux qui osent, notamment les lanceurs d’alerte. Cela rejoint le Tome 3 de ma trilogie. En endossant ce rôle, mes héros passent à l’âge adulte.
Si je devais choisir une œuvre à sauver (un jour, un élève m’a dit qu’on allait brûler mes livres !), je choisirais ma trilogie. J’ai eu le Grand Prix de l’Imaginaire avec. Je suis contente qu’elle ressorte car c’est mon bébé chéri. Tout ce qui me tient à cœur est dedans, notamment la dimension écologique.
J’aime envisager les extra-terrestres comme bienveillants. Pourquoi toujours considérer que l’altérité est dangereuse ? Je n’arrive pas à faire des "méchants". C’est la société qui est cruelle !
L.F : Quels sont vos coups de cœur en SF ?
D.M : Sur une île déserte, j’emporterais tout Bordage, en priorité "Les guerriers du silence". J’ai aussi vécu un choc avec "Les seigneurs de l’instrumentalité" [de Cordwainer Smith]. Je n’amuserais bien à en boucher les trous !
Côté cinéma, je dirais "Star Wars", comme tout le monde. "Contact", aussi. Il ne vieillit pas. Et il y a les films que je passais à mes élèves. "Starman" [de John Carpenter], par exemple. C’est l’histoire d’un alien qui se réfugie chez une veuve et prend l’apparence du mari défunt. Ou encore "Enemy Mine" [de Wolfgang Petersen], dans lequel des humains sont amenés à prendre soin d’un petit alien, un "Drac".
Question voyages dans le temps, il y a les "Maîtres du Temps" [de René Laloux], un dessin animé long métrage. Il fait comprendre le concept de boucle temporelle. Il y aussi "Prédestination" [ de Peter et Michael Spierig] qui est extraordinaire.
Je souhaiterais pour terminer vous parler de quelque chose qui me tient à cœur. Il s’agit de Guédelon [chantier médiéval de construction historique d’un château fort, selon les techniques et matériaux utilisés au Moyen-Age.]. C’est une véritable création, pas seulement une rénovation ! Le projet a été initié en 1997. Il devrait aboutir d’ici 2027-2030. Il y a derrière tout cela une démarche pédagogique, et, en plus, on n’y travaille que de mars à octobre.
J’ai été fascinée par le projet lors de ma première visite. Un jour, j’ai osé dire que j’avais envie de mettre des personnages vivant des aventures dans un lieu pareil. J’ai rencontré Maryline Martin [co-fondatrice de Guédelon], qui m’a dit : "je ne veux pas de fantastique, ce n’est pas l’esprit de Guédelon !". Elle a cependant ajouté : "ce serait bien que tes personnages aillent au XIIIème siècle !". Nous avons donc eu l’idée d’une porte temporelle. J’ai proposé pour cela l’escalier de la Poterne, que j’adore. Mes personnages montent cet escalier et croisent le chemin d’un petit chat "magique" à la tête noire et au corps blanc. Il apparaît si l’on prononce spontanément, sans le vouloir, une formule. La porte s’ouvre alors sur le passé. Pour la refranchir, c’est la même démarche. Le séjour dans le passé ne dure qu’une heure dans le présent.
J’ai moi-même travaillé sur le chantier de Guédelon, en tant que bâtisseur, pendant plusieurs jours ! J’ai travaillé la pierre avec les maçons et ça, j’en suis fière ! Maintenant, quand j’y retourne, je vais poser la main sur mon œuvre !
Actuellement, je termine le troisième ouvrage de la série [Aventures à Guédelon]. Il porte sur la forge. Le quatrième portera sur les couleurs.
Je collabore actuellement avec de nouveaux illustrateurs et suis sélectionnée pour un prix littéraire !
Interview réalisée par Lady Fae, Propos recueillis et retranscris par Athina
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