jeudi 21 septembre 2017

Ça, de Andrés Muschietti


Nul n'a pu passer à côté : un de nos plus vieux cauchemars de gosse a refait surface. Une peur insidieuse que la plupart d'entre nous avaient enfouie profondément sous tout un tas d'autres souvenirs, comme si -tel ce bon vieux Freddy- ne plus y penser suffirait à la faire disparaître. Qu'on ne s'y trompe pas, c'est là une quête vouée à l'échec. Les années 80 et 90 furent le théâtre de nombreux massacres et autres crimes horrifiques, à Helm Street, à Crystal Lake ou encore dans la petite bourgade de Derry... Et c'est dans ce dernier lieu qu'Andy Muschietti décide de nous entraîner à nouveau dans son dernier film, pour le plus grand plaisir de notre âme d'enfant.

Comme je le soulignais à l'instant, le cinéma d'horreur a particulièrement marqué le paysage de ces années troubles, et on relève aujourd'hui encore les traces que ses nombreux représentants ont laissé dans l'imaginaire collectif. Il suffisait de voir ces ballons rouges attachés aux grilles des bouches d'égout samedi dernier devant le cinéma Vox de Strasbourg, par exemple, pour  se rendre compte que malgré tout le temps passé à tenter de l'oublier, le spectre de la coulrophobie n'avait quitté personne. 


Et il fallait l'oser, car aussi perfectible ait pu être le téléfilm de 1990 (d'aucuns diront qu'il était incroyablement mauvais, je préfère me montrer plus mesuré) il s'était imposé comme l'adaptation la plus marquante jusqu'alors d'un livre de Stephen King. Ouais, le Maître du thriller lui-même, dont pléthore de bouquins ont eu droit à leur portage sur grand ou petit écran. Il ne s'agissait donc pas pour Muschietti de simplement offrir au livre de King une moulure adéquate à une sortie en salle, mais aussi de rendre hommage à son prédécesseur.

Allez, je vous épargne une nouvelle fois le pitch, notre bon Lord Kavern en a déjà très bien parlé, et je me garderais de vous en dévoiler trop sur les tenants et aboutissants du film. A la place, je vous invite à un petit focus sur le culot et l'adresse d'Andy Muschietti, cet argentin plein de promesses !

Deux films, et déjà une identité.

Deux. C'est le total de longs-métrages dans la filmographie actuelle du réalisateur de « Ça ». Et ce dernier est compté dedans. Rien que ça, il faut en saluer l'audace. Lorsque sont tombées les premières rumeurs d'un remake des mésaventures du Clubs des Losers de Derry, j'ai grincé des dents. En effet, cela fait déjà longtemps que j'ai été désabusé par des légions de remakes dégueulasses, ersatz de patchwork de ces vieilles pellicules chères à nos souvenirs sur lesquelles certains et certaines chiaient allègrement en croyant bien faire... Et quand bien même je n'ai jamais été un grand fan ni du roman de King ni de l'adaptation que Tommy Lee Wallace avait pu en faire, j'aime qu'on laisse les vieux monstres du cinéma en paix.  A plus forte raison aujourd'hui, Monsieur Romero n'étant plus là pour ramener les morts à la vie. Pourtant, un nom suffit à m'apaiser : Andy Muschietti.

Son premier long-métrage est le bien connu et justement récompensé « Mama », et je l'évoquais précédemment dans mon billet sur « Grave Encounters » comme l'un des derniers films de genre m'ayant impacté, ou pour le moins ne m'ayant pas laissé indifférent. Et cela est dû sans aucun doute au style très prononcé de son réalisateur. Une patte graphique propre, une esthétique très tortueuse se jouant des ombres et des lumières comme le ferait un prisme, ainsi qu'un impact visuel incisif et indubitablement marquant : ce sont là les empreintes de notre argentin, et ce en deux films seulement. J'ai peut-être l'air d'insister là dessus de façon monomaniaque, mais c'est parce que je m'enchante du retour des auteurs dans le cinéma de genre. Aussi, si Muschietti semble parfois se chercher encore, il est indéniable qu'il soit en passe de marquer le renouveau du film fantastique et horrifique. Car il faut l'admettre, visuellement on en prend plein la gueule. Tout amateur de photographie pourra s'émerveiller sur les plans de « Mama » comme de « Ça » et de leur étalonnage.

Mais si l'identité de Muschietti n'était que visuelle, alors on n'aurait à faire qu'à un énième pseudo-néo-proto-philosophe-penseur-accrobate-unijambiste-du-cinéma convaincu de donner dans le renouveau de l'art vidéo, transgressant le genre à ne plus s'en sentir pisser (coucou Gaspard Noé, non je ne trouve toujours pas bon ton cinéma)... or Andy n'est pas de ces usurpateurs, non. Il instille dans chaque minute de ses films sa passion pour le genre. Là où son compatriote sus-mentionné force l'adoration et l'amour, Muschietti les partage avec les spectateurs. La mise en scène flirte avec l'angoisse et l’oppression, puis sait nous rendre notre souffle au bon moment. Vous savez, ce moment qu'on recherche ardemment lorsqu'on se matte un film d'horreur. Celui où l'on se retrouve écrasé par l'anxiété, juste suffisamment pour que ça n'en devienne pas fort désagréable et qu'on en garde un mauvais souvenir. Voilà l'équilibre que vise (plutôt adroitement, de surcroît) Muschietti. Il est d'ailleurs sympathique de voir que le choix d'adapter la première confrontation des enfants de Derry à Pennywise plutôt que de se limiter à leur retour une fois adulte (comme dans le téléfilm, et qui sera l'objet du second opus) permet au récit de se ponctuer de grandes bouffées d'air.

Bien que sa filmographie n'en soit qu'à ses début, et qu'il puisse être délicat par conséquent de vouloir la juger dans son ensemble, on ressent très clairement dans « Ça » la présence du papa de « Mama ». Les enfants, notamment, reviennent ici voler au monde adulte la vedette, leurs craintes tout comme leur bravoure sont l'épine dorsale de ses deux films. Et si j'espère une tournure plus psychologique que sensitive pour le second opus, il va de soi qu'Andy Muschietti sait ce qu'il fait, et je conseille à quiconque de surveiller attentivement la progression de sa carrière.

Découvrant le film lors de la cérémonie d'ouverture du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, je suis encore surpris de voir et d'entendre que « Ça » d'Andy Muschietti fait déjà bien parler de lui et a déjà marqué les esprits. Non exempt de défauts pour autant, il a su s'attirer la bienveillance de son public de par le respect avec lequel il traite les deux œuvres dont il est tiré, aussi bien le livre que le film. King lui-même, pourtant éternel insatisfait et aux goûts cinématographiques assez... disons curieux (« Shining » de la merde ? Sérieusement Stephen ?) a dit avoir beaucoup apprécié ce revival. Mais le long-métrage ne présente pas ses hommages qu'à ses homonymes, il est également une fresque dédiée au cinéma de genre en avançant toute cette fraîcheur et cette honnêteté intellectuelle qu'avaient ceux de l'époque.
Alors en tant qu’aficionados poussiéreux de cette ère presque néolithique, je pense qu'on ne peut que trouver réconfortant de savoir les nuits blanches de nos jeunes têtes blondes entre les mains habiles de tels cinéastes. 

Curieux, nostalgiques, vieux baroudeurs ou jeunes galopins, je ne saurais que vous recommander de laisser sa chance à ce film. Car au-delà de son rythme un peu lent et des légers défauts qui le ponctuent, il reste une excellente œuvre cinématographique et constitue l'un des immanquables de cette année 2017.
Sur ce, ne sortez pas sans votre ciré jaune, mais gardez à l'esprit les conseils de vos parents : ne jamais parler aux inconnus.
Bien à vous,
Bishop9K

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