L'Etrange
Librarium : Bonjour, pouvez-vous vous présenter et nous parler de
votre parcours (diplôme, expérience professionnelle,
bibliographie), présenter votre roman "Le Labyrinthe de Darwin"
à nos lecteurs ?
Thierry Dufrenne : Je
suis né dans les Ardennes en 1964. Mon parcours scolaire est très
classique, avec un baccalauréat scientifique en 1982 et une école
paramédicale de manipulateur
en électroradiologie médicale
juste à la suite. Je ne vis pas de l'écriture, sinon je serais déjà
mort de faim... et même si je le pouvais, j'hésiterais à laisser
tomber mon métier. Depuis trente ans, je travaille en imagerie
médicale. La particularité de mon activité est de pouvoir observer
le corps humain et ses organes à l'aide de différentes
technologies. En trois décennies, l'évolution a été
extraordinaire avec l'arrivée du scanner, de l'IRM, de
l'échographie. Actuellement très précises, elles permettent
d'obtenir des images de l'intérieur d'un corps humain mais aussi
d'en appréhender le fonctionnement, avec comme paradoxe, celui d'y
révéler des éléments que le patient examiné ne soupçonne pas.
Cet aspect est important et je l'utilise dans "Le labyrinthe de Darwin".
C'est
parfois impudique d'annoncer à quelqu'un qu'il a, par exemple,
quatre artères rénales au lieu de deux ou un organe inversé.
L'information l'amène à sourire et en apprendre plus sur son propre
corps ainsi dévoilé ; par contre découvrir que sa mort est proche
voire imminente implique de la réserve ou un mensonge... Lorsqu'il
s'agit de votre propre père, on regrette parfois de savoir lire les
images. Pour ceux qui ont lu ou liront "Le labyrinthe de Darwin",
vous comprendrez mieux désormais certains chapitres.
Mon
métier m'amène aussi à travailler régulièrement avec la cellule
médico-judiciaire. Je radiographie les corps avant ou après les
autopsies. La recherche des dernières minutes de la vie, des causes
de la mort et les liens avec l'enquête en cours devient vite très
intéressant ; surtout lorsque le médecin légiste est lui-même
passionné.
La
physiologie, l'anatomie des êtres vivants sont deux domaines qui me
captivent. Naturellement, j'en suis venu à la théorie de
l'évolution de Charles Darwin et aux découvertes sur le génome
humain.
Nous
ne sommes pas tous égaux au regard de notre génétique,
s'apercevoir que des personnes sont plus résistantes ou sensibles à
des éléments extérieurs, des maladies, des malformations, ou
possèdent des facultés hors normes, est assez troublant. Je pense
même que cela explique bien des croyances ou des légendes. Pourquoi
ne pas imaginer, une autre possibilité d'évolution pour l'Humain,
au même titre que Néandertal a vécu en parallèle de l'Homo Sapiens avant de s’éteindre ?
J'ai
une imagination assez délirante, il n'en fallait pas plus pour que
naisse ce second roman et sa suite "La
Némésis de Darwin" ...
Il y aura d'ailleurs probablement un troisième opus. Je n'aime pas
terminer une histoire. En général, je laisse traîner une ficelle
qui permet de dérouler une autre pelote...
Dès
mon premier thriller "7 morts sans ordonnance" ,
j'ai voulu laisser une fin en suspens et je vois dans ce récit un
côté étrange et irrationnel que les amateurs de polars ne
perçoivent pas. Ils m'inventent des solutions cartésiennes
abracadabrantes alors qu'un abandon vers un léger côté fantastique
peut tout expliquer... L'indice est pourtant sous leurs yeux tout au
long du roman. J'en ris avec eux, c'est l'essentiel ! "Effets
secondaires"
reprend le même schéma, c'est une nouvelle éditée sous la forme
d'un très court roman (20 pages), il est cependant important pour
introduire un personnage dans "La
Némésis de Darwin".
E.L
: Quelles sont vos sources d’inspiration ? Vos maîtres et
coups de cœur en littérature et au cinéma ?
T.D : Dans
le choix de mes lectures ou du cinéma, j'aime le fantastique,
l'étrange et les histoires à faire peur ; très peu la fantasy. Les
nains, les elfes et les mages, me poussent souvent à fermer le
bouquin. Je fuis les films et les romans qui parlent des problèmes
des gens dans leur cuisine. Je porte un intérêt certains aux polars
à condition que le flic ou l'enquête ne soit pas l'élément
principal. Je participe mensuellement à un cercle de lecture, c'est
très enrichissant.
Je
lis surtout des auteurs français : Chattam (tous ses thrillers et "Autre
Monde"),
un peu Grangé, Jérome Camut et Nathalie Hug, font partie de mes
auteurs préférés. Les décors glauques et décalés de Brussolo
m'inspirent. Et Ayerdhal me scotche à tous les coups ! Je ne peux
pas citer toutes mes lectures ici.
Mon
éditrice m'a suggéré Sturgeon. Je ne l'avais jamais lu et, sans
m'y comparer, je trouve certains points communs avec mon écriture ;
derrière les thèmes du roman il y a toujours un élément
scientifique accéléré, dilaté ou poussé à bout pour en faire un
élément étrange.
Abonné
à Science
et Vie ,
j'y trouve les germes de futures histoires. La musique est aussi
source d'inspiration : du classique, beaucoup de métal gothique,
jamais de pop, pas d'électro ni de rap, encore moins du jazz,
question de goûts!
Des
romans qui m'ont particulièrement marqué ? Pas toujours des auteurs
français, certains sont loin d'être des chefs d’œuvre : "Le
masque des regrets"
de Kurt Steiner, "Carnacki
et les fantômes"
de Hodgson, "Fantômes
et farfafouilles"
de Fredric Brown, "Les
rivières pourpres"
de Grangé mais aussi "Mal'Concilio" de Rogliano
et "L'enfant
cheval"
de Robert Cecconello .
Au
final ça peut paraître éclectique mais j'y vois un fil conducteur.
Par
ailleurs, j'ai lu presque tout Jules Verne.
Je
ne lis pas énormément, une trentaine de romans pas an mais il faut
multiplier ce chiffre par 43... j'ai appris à lire à six ou sept
ans depuis j'ai toujours un bouquin sur ma table de nuit. Je limite,
de façon drastique, mes choix et mes achats depuis trois ans...
lorsque j'ai participé à mes premiers salons, je revenais avec plus
de livres achetés que vendus ! J'essaie, sans succès, de me mettre
à jour dans ce que je veux lire, je vais devoir sérieusement
m'intéresser à l'allongement de la vie pour y parvenir...
E.L
: Qu’est ce qui vous a amené à écrire ?
T.D : J'ai
toujours aimé créer. Je bricole des objets totalement inutiles,
j'ai dessiné au pastel, peins à l'huile... Écrire et raconter une
histoire est un peu pareil avec une autre technique pour éveiller la
curiosité et les sentiments.
Je
ne suis pas spontané dans la communication, j'ai besoin de mettre
mes idées noir sur blanc avant de les exposer.
Je
ne me considère pas comme un écrivain ou un auteur, juste un
conteur. Les cours de littérature et d'analyse de texte, au lycée,
étaient un ennui profond presque une torture au bac ! Je vivais les
lectures imposées comme une atteinte à ma liberté ; encore
aujourd'hui, je refuse catégoriquement de participer à un jury si
j'ai, à lire, des livres que je n'ai pas choisis. Bref, je ne suis
pas un littéraire mais je flâne souvent dans les salons du livre.
Lire un bouquin après une rencontre avec son auteur est bien plus
intéressant et ceci m'a poussé à terminer un premier roman qui
traînassait, à l'état de patchwork décousu, en me disant :
pourquoi pas moi ?
E.L
: Comment s’organise le travail autour de l’écriture, Avant,
après la publication. Pendant l’écriture, le moment de la journée
où vous écrivez le mieux ? Un rituel autour de l’écriture ?
T.D : Mes
horaires de travail ne sont pas réguliers donc, j'écris n'importe
où, n'importe quand ; le temps étant ce qui me manque le plus. Je
n'ai aucun rituel autour de l'écriture mais si je peux m'isoler avec
de la musique et un casque l'efficience est meilleure.
Souvent,
l'écriture se fait mentalement, dans une salle d'attente, en
conduisant, ou la nuit allongé dans le noir. La frappe ou l'écriture
à la mine de plomb sur un carnet qui ne me quitte presque jamais
n'est qu'une sauvegarde de ma mémoire. Il y a souvent un déclic au
démarrage d'un chapitre, une phrase qui me plaît ou un fait précis
que j'ai envie de relater. Je suis rarement à attendre devant mon
clavier que les idées viennent. La plupart du temps, je n'ai plus
qu'à les rédiger, ce qui ne veut pas dire que je n'y ai pas
longuement réfléchi.
J'utilise
parfois un dictionnaire de synonymes papier ou en ligne (Crisco
Unicaen, gratuit, pratique et efficace)
pour trouver le mot juste.
Je
préférerai toujours le fond de l'histoire à la forme. Je me suis
toutefois rendu compte, en lisant Lamartine et Maupassant, que la
musique des mots était importante pour valoriser un contenu. Je
m'applique et j'admire les auteurs qui savent changer de style ; je
n'ai pas cette qualité, ou alors pas consciemment.
E.L
: Qu'aimez vous dans la science-fiction et/ou le fantastique ?
T.D : Je
suis très cartésien mais pas obtus. Je ne crois, ni aux fantômes,
ni à la télépathie, ni au paranormal mais je veux bien admettre
que nous n'avons pas découvert certains phénomènes et que la vie
peut exister sur d'autres planètes.
Le
fantastique et la science fiction me permet l'évasion ; je suis
toujours étonné devant les visionnaires comme Jules Verne ou
Orwell, en m'apercevant qu'il étaient bien en deçà du futur décrit
dans leurs romans. Dans Paris
au XX° siècle Verne
décrivait les calculatrices de la taille d'un piano, "1984"
peut s'appliquer désormais à bien plus de pays que l'ex URSS. Donc
quand j'ai lu "Les
monades urbaines",
j'avoue avoir eu très peur, et pourtant, j'adore les mondes
post-apocalyptiques! Récemment, j'ai acheté "Les
falsificateurs"
de Bello mais je ne l'ai pas encore lu. Je vais frémir ? Tant mieux
!
E.L
: Autre chose à nous faire partager ? Vous avez carte blanche !
( un mot sur la maison d’édition, retour que vous avez eu des
lecteurs, ce qui vous plaît en SF ? Ce que vous souhaitez
transmettre en écrivant ? Récompenses ou prix reçus pour
votre livre ? Invitation à visiter votre blog, votre page
facebook, vos futurs projets…
T.D : Je
travaille, actuellement, sur une nouvelle histoire pour laquelle je
me suis longuement documenté sur les pigeons. Il y aura un transfert
d'un homme très malade vers le corps d'un oiseau, avec un fond
d'intrigue policière mais je ne veux rien dévoiler de plus.
Un
mot sur la maison d'édition : Ex Aequo est une maison d'édition qui
a fait le pari de démarrer avec des nouveaux auteurs et le e-book
comme principal moyen de diffusion à ses débuts, sans pour autant
laisser tomber le livre papier. La gestion est sérieuse,
l'entreprise a pris son envol et je suis heureux d'y avoir un peu
participé. Mon éditrice m'a beaucoup aidé car je ne connaissais
absolument pas les coulisses du monde du livre. J'ai vite déchanté,
comme un amateur qui se pointe dans un milieu professionnel,
l'apprentissage sur le terrain s'est fait avec autant de moments de
bonheur que les pires minutes de ma vie.
Ce
que je veux transmettre ? Au delà du thriller et de l'étrange, dans "Le
labyrinthe de Darwin" et "La Némésis de Darwin",
j'aimerais amener mes lecteurs à se poser des questions sur
l'évolution de l'Humanité.
Y
en a-t-il encore une au sens darwinien d'ailleurs ? C'est une
question qui me préoccupe et à laquelle Darwin répondait déjà
par la négative :
"Quant
à nous, hommes civilisés, nous faisons, au contraire, tous nos
efforts pour arrêter la marche de l'élimination ; nous construisons
des hôpitaux pour les idiots, les infirmes et les malades ; nous
faisons des lois pour venir en aide aux indigents ; nos médecins
déploient toute leur science pour prolonger autant que possible la
vie de chacun."
Des
propos très dur mais qui devraient encore interpeller !
Vous
pouvez me retrouver sur Facebook, sous mon nom. Mes autres pages sont
nommées comme les titres de mes romans.
Je
vous remercie pour votre attention.
Propos receuillis par Lady Fae
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